C’est parti autour d’une table, un soir d’automne, à l’occasion d’une réunion de paysans...


Aude, animatrice de l’Association pour le Développement de l’Emploi Agricole et Rural du Lot (ADEAR) à l’époque et maintenant paysanne biscuitière, nous posa une question à laquelle nous avons tous répondu oui, car personne ne sait dire non à Aude :

- Et si on créait une Maison des semences paysannes ?

Très vite, le bouche-à-oreille fit son ouvrage, nous fûmes dix puis vingt puis cent… Puissant c’est le mot. Depuis quelques années, nous organisions des réunions de maraîchers bio où chacun interpellait l’autre sur le choix des variétés de légumes que nous cultivions. Si beaucoup d’entre nous conservaient des graines de ses tomates préférées, l’immense majorité de nos collègues ne juraient plus que par des légumes se terminant par F1, vantant la résistance de l’un, la productivité de l’autre et le rendement du troisième.

Au-delà de cette problématique, ce fut avant tout d’autonomie dont il était question, mais il y en avait bien d’autres : a-t-on le droit de produire nos variétés, saura-t-on mettre à disposition des maraîchers et des jardiniers des semences de qualité et en aurons-nous le temps alors qu’une journée de paysan n’est composée que de vingt-quatre heures, dont une bonne moitié de travail ? On n’y arriverait pas seuls, ce fut notre première certitude et sans doute notre meilleure idée. Très vite, les jardiniers vinrent nous rejoindre, compagnons de lutte, amis ou clients, ils disposaient de surfaces potagères dont ils souhaitaient dédier une part pour la production de semences paysannes. Une première fête nous réunit, pleine d’espoir, mais un bilan s’imposa ; nous étions aussi déterminés et joyeux qu’inexpérimentés. Les premières courgettes ne ressemblèrent pas à leurs parents, nous reçûmes des sachets de graines improbables, à l’origine inconnue, et sobrement étiquetées ‘courge’ qui finirent en bombes à graines. Les enjeux d’autonomie semencière qui sont les nôtres méritaient mieux, et il fallut nous former, nous structurer et nous financer. À force d’avoir depuis plusieurs générations laissé des entreprises semencières nous ôter notre expérience pour nous imposer des plantes dont nous ne voulions plus, il nous fallait nous réapproprier nos savoir-faire. Biau Germe, le Réseau Semences Paysannes (RSP) que nous rejoignirent rapidement et Greenpeace furent d’une aide capitale. Christian Boué nous accueillit dans sa ferme pour nous transmettre quarante années de production de semences bio, le RSP nous soutint dans notre démarche organisationnelle et juridique, Greenpeace leva pour nous des fonds.

Une Maison des semences paysannes (MSP), ce sont des femmes et des hommes qui regardent dans la même direction, ce qui ne les empêche pas d’être tous différents. Certains cultivaient en agriculture biologique labellisée, d’autres faisaient des choix tout aussi respectables pour  la nature mais sans adhérer à un label et les jardiniers, eux, ne pouvaient prétendre à un cahier des charges professionnel. Nous rédigeâmes donc une charte, sésame d’un code de conduite éthique, et structurâmes l’organisation de la MSP à l’aune de la saison des semis et des récoltes. Il fut décidé que l’été, période charnière, serait donc le moment des visites de jardins qui permettent de mieux nous connaître, mais aussi de transmettre à chacun des connaissances fondamentales en matière de production semencière. L’automne serait celle du tri, l’hiver celle du choix par les maraîchers des variétés à reproduire, de la distribution et des tests. Quant au printemps, il verrait les semis et la mise en place des cultures. Formations après réunions, nous décidâmes de nous équiper, entre autres de tamis et d’un réfrigérateur pour effectuer les tests de germination, puis avons levé des fonds supplémentaires afin de réaliser une colonne de tri.

Nous avons dès le début choisi de mettre à disposition gratuitement les semences auto-produites aux maraîchers, puis aux jardiniers et enfin au grand public et nous nous sommes tenus à cette règle jusqu’aujourd’hui. Le petit donneur de graines (PDG) est constitué de bénévoles particulièrement investis qui organisent les visites de jardins, se réunissent régulièrement et décident des choix stratégiques de la MSP. Nous nous sommes spécialisés, avec le temps, dans la production de semences potagères, nous avons également noué des liens avec d’autres centres d’intérêt : maïs population avec le lycée agricole, céréales à paille pour la panification et greffe des arbres fruitiers.

Le temps nous manque pour développer d’autres champs qui sont pour le moment en sommeil. Chaque MSP possède son domaine d’expertise: AgroBio-Périgord pour le maïs et le tournesol, l’Association Vétérinaires Eleveurs du Millavois (AVEM) pour les fourragères, Pétanielle pour les céréales à paille ou La maison de la graine du Collectif des Semeurs du Lodèvois-Larzac avec lesquels nous avons noué des liens.

L’engagement de ceux qui gèrent cette Maison des semences paysannes est le même que celui qui pousse à l’action de nombreux Faucheurs Volontaires d’OGM, ce n’est pas un hasard. Bien des membres sont investis dans cette double démarche, l’une où l’on prend le droit que la législation nous autorise, l’autre où nous écrivons le droit en prenant le gauche. Dix années après ses prémices, il reste autant d’opportunités que de défis à relever pour cette maison, un lieu où s’épanouissent des espoirs et des rêves d’un monde différent, celui qu’on bâtit à rebours d’une société différente. Pour clore ce court exposé de notre maison, je ferais à chacun d’entre vous la même proposition qu’Aude nous fit il y a quelques années:

- Et si on créait une Maison des semences paysannes ?

Personne ne sait dire non à Aude. Et vous ?

Le petit donneur de graines (PDG)

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